Condamné le 20 juin 2012 par la Cour d’appel de Douai (Nord) pour agression sexuelle sur sa petite-fille mineure de moins de 15 ans, le frère du Grand Orient de France (GODF) Alain Marville a démissionné de son obédience au début de ce mois de juillet. C’est ce que je viens d’apprendre auprès de son avocat Me Jean-Michel Quillardet, ancien Grand Maître du GODF (2005-2008).
Alain Marville était Chancelier au sein du Suprême Conseil (Grand Collège du Rite Écossais Ancien et Accepté) et venait d’être convoqué par la Chambre Suprême de Justice Maçonniqueen septembre 2012, à la demande du Conseil de l’Ordre du GODF.
Ce qui peut paraître surprenant dans cette affaire, c’est que le Conseil de l’ordre réagisse à la confirmation en appel, en juin 2012 donc, maisne l’ait pas fait en 2009 après la décision de première instance. Or les deux décisions sont quasi identiques : une condamnation à 18 mois de prison avec sursis, 8000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral en faveur de la partie civile et 1€ pour ses parents. La Cour d’appel de Douai a tout de même aggravé la sanction avec une amende de 5000€ (comme me l’indique le conseil de la partie civile). Simplement, la seconde décision judiciaire au fond n’est pas plus définitive que la première puisque le frère Marville s’est pourvu en Cassation (selon les indications de son conseil) (1).
En première instance, en 2009, Alain Marville était défendu par Me Emmanuel Riglaire. Il avait singulièrement plaidé en parlant de son client comme d’un « personnage haut placé dans la franc-maçonnerie« . Cet avocat, frère lui-même, a été suspendu du GODF par le Conseil de l’Ordre en octobre 2011 en raison de son implication dans l’affaire du Carlton de Lille (célèbre affaire parce que DSK y est impliqué). En 2009, l’affaire Marville avait été révélée par L’Observateur de l’Arrageois puis par le site Gadlu.info.
Devant la cour d’appel de Douai, le 6 juin 2012, Marville était défendu cette fois par Me Jean-Michel Quillardet, qui a, lui, intelligemment évité d’évoquer l’appartenance maçonnique de son client : « Alain Marville a toujours nié les faits. Cette affaire se résume à une parole contre une parole, sans aucun témoignage. » La Justice a manifestement considéré qu’il n’y avait pas de doute sur les faits qui se seraient déroulés en 2003 et 2004 alors que la présumée victime avait 12 ou 13 ans. « Il n’y jamais de témoin pour ce genre de faits, affirme Me Blandine Linquercq-Prévost, avocate à Arras de la petite-fille et spécialisée dans ce type d’affaires. Je pense que ce qui a emporté la conviction de la Cour c’est la comparution de ma cliente. » A sa demande, l’audience a eu lieu à huis clos. Lors d’une première audience, le 7 mars, la partie civile ne s’étant pas présentée, le Cour d’appel, le 21 mars, lui a ordonné de comparaître personnellement. Ce qu’elle s’est résolu à faire, malgré ses fortes réticences.
A la lumière de ces informations, on peut supposer que le Conseil de l’Ordre du GODF a sans doute changé d’attitude vis-à-vis du frère Marville, entre 2009 et 2012, pour deux raisons (outre le fait que ce ne sont pas les mêmes frères et pas le même Grand Maître). Principalement car l’affaire du Carlton de Lille est passée par là : comment en effet justifier que quatre frères (1. René KOJFER, chargé des relations publiques du Carlton de Lille. 2. Me Emmanuel RIGLAIRE, avocat. 3. David ROQUET, cadre du groupe BTP Effiage. 4. Francis HENRION, directeur de l’Hôtel Carlton de Lille.)aient été suspendus de l’obédience pour leur implication dans une affaire supposée de proxénétisme… et qu’un frère de la même région condamné en appel comme en 1ère instance ne soit pas invité à quitter le GODF. Autre motif, tout à fait lié, le frère Marville était mal accueilli depuis 2009 dans plusieurs ateliers du Nord, notamment dans sa propre loge, précise son conseil. La direction du GODF n’a-t-elle pas souhaité calmer le jeu ?
Il faut dire que les règles ne sont pas très claires sur la conduite à tenir vis-à-vis des frères impliqués dans une affaire judiciaire ou condamnés. Au GODF comme ailleurs. Avec une mise en examen ou une condamnation non définitive, la présomption d’innocence demeure pleine et entière. Si bien que les obédiences adoptent une politique à géométrie variable très insatisfaisante. Tiennent-elles compte de la gravité de l’affaire ? De son retentissement médiatique passé ou à venir et donc des conséquences en termes d’image pour l’obédience ? Ou est-ce à la « tête du client » ?
(1). NB : La Cour de Cassation n’est pas un troisième degré de juridiction : elle n’est chargée que de censurer la Cour d’appel si les magistrats ont commis un erreur de droit (et non pas d’appréciation au fond des faits). Si l’arrêt de la Cour d’appel est cassé, la Cour de Cassation peut aussi renvoyer l’affaire à une autre cour d’appel qui jugera à nouveau au fond.
(Tratto da: La Lumière)