Les propos qui suivent ont pour ambition de proposer un éclairage sinon des solutions, car la franc-maçonnerie en général et le Grand Orient de France en particulier, glorifient le travail. Et ils ne font qu’avaliser, en l’espèce, une vision bien inscrite dans l’imaginaire collectif quand la valeur de l’individu se mesure sur une échelle où le travail à une place prépondérante, comme s’il structurait l’identité de chacun : dis-moi quel est ton métier, je te dirai qui tu es.
Cette image est tellement forte que la retraite est difficile sinon impossible à assumer pour plus d’un ou d’une qui ont trouvé dans leur profession une raison de vivre. Ce qui fait, que quand ils la quittent, ils meurent, au sens symbolique mais parfois aussi physiologique.
J’ai déjà employé trois mots pour décrire la même fonction, travail, métier, profession, et on pourrait en ajouter bien d’autres, surtout, prosaïquement : l’emploi. Car avec ce terme, nous sommes au centre de la problématique de l’évolution de l’activité des hommes dans une société , quand un déplacement symbolique s’est fait dans la sémantique, le métier devenant la profession dans les temps modernes, pour aboutir à l’emploi. C’est dire que l’on a progressivement évolué de ce qui était réellement de l’ordre de l’acquisition d’un savoir structurant, le métier, à l’exercice d’une fonction sociale, la profession, pour aboutir à ce qui permet uniquement de gagner sa vie, l’emploi.
Avec le constat que l’on peut en déduire : l’identité ne se fonde plus sur la connaissance, même plus sur la position sociale, mais sur l’argent. Les exemples sont nombreux, qui décrivent cette évolution. Les métiers manuels ont pratiquement disparu et sont les moins rentables, les professions à statut social comme les instituteurs, médecins, avocats ont perdu de leur lustre, ce faisant, ont aussi rapporté moins sans que l’on puisse affirmer quel est le mécanisme premier de cette mutation. Enfin, l’argent est devenu le principal élément de mesure dans le choix d’une activité : il n’est que de voir le nombre de diplômés des grandes écoles, qui, au lieu de travailler dans leur domaine de compétence, se sont orientés vers la finance !
Mais à ces constats s’en ajoutent d’autres. Le chômage d’abord. Dont on sait maintenant qu’il sera bien long à résorber, si l’on y arrive un jour, et que les promesses de plein emploi qui fleurissent en périodes électorales sont un leurre.
Plus que la retraite, à laquelle on devrait pouvoir se préparer, le chômage touche brutalement à l’intégrité des individus, en les marginalisant, les culpabilisant puisqu’ils sont in-utiles. Et l’on parle peu de toutes les pathologies sociales, dont le suicide, qui sont liés à l’arrêt d’activité. Sans compter que, dans cette conjoncture, les possibilités de choix se réduisent et que le travail est alors subi, soumis à de multiples contraintes dont le déplacement, les horaires, sans même parler de sa substance même.
Cette courte réflexion à laquelle pourraient s’ajouter, j’en suis conscient, bien des développements, me permet de revenir à nos fondamentaux et de poser trois questions.
J’ai dit ailleurs que la franc-maçonnerie était fille de la raison, soeur de la république, mère de la laïcité.
La raison critique est dans mon propos d’aujourd’hui bien remise en cause quand, par exemple, certains s’enrichissent pour assurer leur pouvoir et la subsistance de leurs descendants jusqu’à la 21e génération (ça a été calculé !). Oublient-ils qu’ils vont mourir ? Que les sociétés vont évoluer ? Ou cherchent-t-ils à d’une manière proprement insensée, dépourvu de sens, une immortalité que leur procurerait la fortune ? On ne peut répondre à leur place mais les mettre devant leurs propres contradictions et paradoxes qui leur font aussi projeter leurs fantasmes sur une société où il faudrait travailler plus pour gagner plus. Et vivre mieux ?
Mais la République est aussi en cause. N’a-t-elle pas dévoyé sa fonction qui était de donner à chacun la sécurité de l’existence et la possibilité de choisir ou, pour le moins, de composer avec son destin? Les structures de notre République continuent de fonctionner, mais dans le vide de la pensée et de l’action. La démocratie même est en cause quand on accueille avec satisfaction hors de nos frontières des dirigeants de pays non élus, mais imposés et qui plus est, imposés par les institutions financières.
Enfin, la laïcité ! Que l’on réduit, c’est mon antienne et mon combat, à une contrainte de l’autre qui pense différemment. Je reviens sans cesse sur les idées généreuses qui l’ont fondée.
Je suis arrivé à ce constat partant d’un propos sur le travail qui peut paraître amer. Mais il est seulement inquiet. Car je continue à penser que l’engagement qui est le nôtre, avec nos outils, doit nous conduire à une réflexion, à une élaboration et surtout à des solutions. Nous ne sommes qu’un ferment. J’aimerais que nous puissions être aussi un « poil à gratter ».
Nous n’attendons pas de solution miracle, mais une réflexion et un constat lucide.
Nous sommes tous dans le même flot tumultueux qu’il ne sera pas possible d’assagir avec quelques cuillerées d’huile.
Nous voulons une parole claire, audible et raisonnée qui sache la difficulté mais qui ne cède pas à la dictature de la finance et de la crise dont nous savons, il n’est nul besoin de l’imaginer, où elle nous mène.
La liberté du franc-maçon, les choix qu’il fait de la différence et du respect de l’altérité, dans les difficultés sociales que nous affrontons, sont des outils mais aussi une posture éthique que nous dirons et défendrons tout au long de la campagne électorale de 2012.
(Tratto da: guyarcizet.godf.org)